Goethe Institut
Ce que je vis : Rencontre avec Gilles Pandel
Par Gaëlle Gourgues
A l’occasion de la rétrospective organisée autour du travail de Gilles Pandel, Ce que je vis, nous avons eu le plaisir de le rencontrer pour discuter de son travail.
Depuis les années 80 il photographie au gré de ses rencontres les gens dont il aime le travail, la personnalité. Ces portraits en séries explorent au plus prés les fluctuations sensibles du visage des sujets photographiés. C’est ainsi que sont réunis près de 4500 photos de personnalités du milieu artistique, intellectuel et dont le nom ou quelque chose du visage peut nous sembler tout à la fois familier et parfaitement anonyme : humain.
Comment ont été répartis les différents portraits dans les 6 lieux d’expositions que vous occupez à Toulouse ?
Le premier lieu qui nous a été proposé est le Goethe Institut. Il fallait des portraits de personnalités allemandes pour justifier une exposition dans ce lieu. Je n’ai pas eu beaucoup d’opportunités de faire des portraits de créateurs allemands. J’ai réalisé avec le temps qu’il y avait encore une barrière culturelle entre la France et l’Allemagne, malgré Arte et un certain nombre d’événements communs. Les Français connaissent peu les cinéastes allemands, qui restent peu diffusés et connus seulement d’un très petit milieu. Je pense à Matthias Glasner, Angela Schanelec ou Christian Petzold par exemple. Nina Hoss est une très grande actrice et une vedette en Allemagne mais peu connue en France. La France me semble assez protectionniste avec son cinéma d’Art et Essai. Il y a des films extraordinaires qui viennent du monde entier mais visibles presque exclusivement dans des festivals, c’est dommage.
Au Goethe-Institut on retrouve mes photos de Werner Herzog qui était plus connu à l’époque de ses films avec Klaus Kinski mais qui est devenu un documentariste extraordinaire, on trouve aussi Bruno Ganz, un acteur suisse-allemand qui a beaucoup joué dans des films allemands, notamment dans Les ailes du désir de Wim Wenders. Il y a Sophie Semin, actrice de théâtre, qui a joué dans les films de Peter Handke, ainsi qu’avec Wim Wenders. Et enfin, il y a Alexander Kluge, cinéaste et écrivain, qui est indirectement à l’origine de cette exposition puisque c’est au colloque de Cerisy sur Alexander Kluge que j’ai rencontré Hilda Inderwildi. C’est elle qui a lancé toute cette catastrophe (rires) ! Ça a grandi comme une sorte de défi, au fur et à mesure de propositions qui nécessitaient d’investir d’autres espaces et puis ça a pris une proportion incontrôlable (rires). Le terme de rétrospective a été lancé par Hilda comme un désir avant même que ça soit une réelle rétrospective.
Elle m’a ensuite amené à la Librairie Etudes de la faculté du Mirail qui était intéressée par les philosophes ou les écrivains. On y retrouve Georges Didi-Huberman, Aurélien Barrau, Michel Serres et Boris Cyrulnik sont exposés dans la galerie attenante, Giorgio Agamben, Jean-Luc Nancy, Angela Davis et Jacques Rancière sont eux à la Maison de la Recherche, également à l’université.
La Galerie Concha de Nazelle nous a aussi ouvert ses portes. C’est une galerie de peinture, nous avons donc décidé d’y montrer tout ce qui avait un rapport plus ou moins direct avec la peinture : des œuvres plus récentes que j’ai faites et qui sont entre la photographie et la peinture, où j’utilise de l’encre, des empreintes ou encore de l’acrylique, avec entre autres des portraits de Miquel Barcelo, Enki Bilal, Anish Kapoor ou encore Alexandre Hollan, pour les plus connus. Mais on y trouve aussi quelques portraits en « simple » photographie de personnes qui ont un rapport direct avec la peinture comme Ernest Pignon-Ernest ou Ai Weiwei.
Enfin, on nous a proposé le Tube de la Fabrique à l’Université Jean Jaurès. Hilda voulait me faire exposer dans ce lieu mais étant donné sa taille, je n’osais même pas en rêver. Et puis il nous a été offert et j’ai eu quartier-libre dans ce lieu, j’ai pu moduler l’espace à ma convenance. En général, j’aime me fondre dans les lieux mais le Tube est tout en longueur, il invite davantage à une traversée et j’ai donc pensé à un système labyrinthique de cellules pour qu’on puisse y déambuler différemment, s’arrêter, vivre un peu en dehors du temps.
Dans ces portraits on peut voir énormément de personnalités impliquées dans le milieu artistique et culturel (cinéastes, acteurs, philosophes…). Comment se fait ce choix ?
Pour faire court, je photographie des créateurs. Ils sont majoritairement du milieu artistique mais ça peut être des scientifiques ou des philosophes… En tout cas ce sont toujours des personnes, que j’aime pour différentes raisons et qui m’impressionnent parce qu’elles changent un peu la forme et notre perception du monde.
Vous envisagez la photographie en vous permettant de la retravailler, elle tend à se rapprocher du dessin, de la peinture, voir de la sculpture.
Beaucoup de gens sacralisent la photo, ils s’autorisent une chose mais pas une autre, moi ça m’est égal. Et d’ailleurs en général je parle très peu de technique parce que pour moi ça n’a aucun intérêt, la photo doit être au service de ce qu’on fait. Mais la particularité de la photographie, c’est que beaucoup pensent encore qu’elle est réalité. Des journalistes ont perdu leur travail parce qu’ils avaient retouché, retravaillé des images sur ordinateur, c’est un non-sens absolu. Quand on fait une photo ce n’est jamais neutre. L’appareil photo est subjectif et, selon l’objectif (!) utilisé on déforme différemment l’image. Le temps de pause, la mise au point, l’ouverture, tout est manipulation. Il n’y a pas de place pour la vérité. Le photographe montre sa propre interprétation du monde. Alors pourquoi s’autoriser certaines manipulations et pas d’autres ? On peut tout faire dire à une photographie, même sans utiliser un ordinateur. C’est une fausse interrogation de se demander ce qu’on a le droit ou non de faire. La peinture est plus dans la vérité car elle n’a pas de limites et la photo a beaucoup à en apprendre.
Est-ce qu’on retrouve cette idée de vérité dans le fait que les personnes photographiées ne posent pas ?
Oui bien sûr, si je les fais poser c’est moi qui vais décider de ce qu’elles sont d’une certaine façon. J’ai fait il y a une vingtaine d’année un spectacle sur Tchouang-tseu qui était un penseur chinois du IVe siécle avant J.C. et son idée était que le monde est artificiellement découpé par notre raison et par notre langage. C’est plus facile en société de penser que je suis Gilles Pandel, toujours en continuité, alors que je peux être un Gilles Pandel très désagréable certains jours ou drôle et plaisant d’autres jours. On change, nous ne sommes pas les mêmes étant enfant, adulte ou vieillard. Et c’est ce qu’il y a de fascinant dans un visage, sa mobilité, sa possibilité de changer. C’est ce qui m’attire dans la photographie et que l’on peut avoir par instants dans le cinéma, mais qui est plus flagrant dans la photographie : sur dix images prises en une seconde on va avoir l’impression qu’on passe par trois ou quatre émotions et c’est incroyable!
Et c’est pour cette raison que vous travaillez en série ?
Oui, c’est aussi pour ça que je fais des séries. Je pensais que ce serait intéressant que moi ou quelqu’un d’autre analyse comment je fais des séries et quels sont les différents types de séries que je produis. Il y en a qui sont clairement basées sur une esthétique, des contrastes, des granularités, mais ça peut être aussi sur des émotions, des contrastes d’émotions, etc. Il y a de toute façon le caractère changeant et insaisissable qui est présent dans tout ce que je fais, et c’est qui me plaît, c’est la vie, c’est ce que j’aime chez les gens !
On trouve peu de vos photos sur internet. Pourquoi ?
J’essaie d’éviter internet dans la mesure du possible. Je suis un peu forcé de l’accepter lors d’expositions. Mais j’aime la présence physique des photos, du papier, de la brillance, des corps, de la peau, de la chair, c’est une lutte contre la virtualisation de tout. J’ai fait des études d’informatique et suis effrayé par la montée des machines, par tout ce qui nous fait disparaître, disparaître notre humanité, les contacts. C’est une folie, nous avons été envahis par ce qui n’est pas nous. Et ça a pris une tournure vraiment catastrophique avec le covid, les rapports qui sont uniquement virtuels, les dizaines d’heures de visioconférences, les réseaux sociaux… Même les relations amoureuses se développent sur internet… Enfin pourquoi pas. Mais je regrette que tout ça devienne une règle et pas un complément, le système s’impose et c’est pour ça que j’ai envie qu’une photo existe, que ce soit un objet. Une photo envoyée depuis un ordinateur peut à l’arrivée ne plus du tout avoir la même taille suivant le support sur lequel elle va être regardée, si c’est en couleur ou noir et blanc, l’étalonnage ne sera pas du tout le même que chez moi et donc l’objet artistique finit par ne plus avoir de réalité, c’est une approximation. On oblige les peintres à avoir un site internet où ils vont mettre des photos de leurs peintures. De la peinture en photo sur un site internet ça ne veut plus rien dire, on perd la transparence, les reflets, l’épaisseur, les dimensions, on perd tout ! Pourquoi on accepte ça ? Je refuse d’entrer dans ce jeu-là mais d’une certaine façon j’y participe aussi parce que fatalement on me demande des photos mais je ne vais pas en rajouter à ce qu’on exige. Ce qui m’importe c’est que les gens soient là, en présence avec les photos.
Vous avez aussi un travail de sculpture / installation. Comment est-ce qu’il existe ?
A un moment j’ai habité prés de Lausanne, en Suisse et dans le village je faisais des mosaïques en miroir. C’est parti comme un jeu, je faisais ça et les enfants ont commencé à les casser donc j’ai trouvé d’autres façons d’en faire pour que ce soit plus difficile à casser (rires) ! Mais finalement le village aimait beaucoup ça, en revanche les autorités étaient plus obtuses. Comme ce travail était très bien accepté il était difficile pour elles de m’exclure, mais ils m’ont freiné comme ils pouvaient. La conservatrice du musée du village en grand conseil communal se demandait si c’était « de l’art ou du cochon », texto !
Il y avait aussi un passage sous la route nationale tout près du village, il était sinistre, couvert des graffitis, des insultes aux flics, un vrai coupe-gorge et dans ce passage souterrain j’ai mis des textes du Mythe du Sisyphe de Camus et d’Hiroshima mon amour de Duras, et ça m’a valu une amende pour avoir souillé la voie publique !
Au sous-sol de la Galerie Concha de Nazelle, si j’ai le temps, j’aimerais faire des sortes de petites sculptures éphémères en fil d’aluminium. C’est quelque chose que je peux travailler à la main, c’est très jouissif parce que très rapidement on arrive à créer quelque chose, aussi fragile que ce soit. J’ai fait par exemple de petits personnages poétiques qui ressemblent à des points d’interrogation que j’ai suspendu à des arbres. Et puis c’est toujours intéressant d’avoir des moyens d’expression rapides, comme un peintre qui va dessiner, faire un croquis, ça permet de travailler des idées autrement. Je travaille dans la vitesse, c’est peut-être pour ça que je ne faisais pas de photos de façon continue avant, je ne me voyais pas travailler dans un laboratoire, travailler toute une après-midi pour changer un petit contraste, je suis trop impatient pour ça, j’ai besoin que les idées aillent vite !
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